Comment l'employeur peut-il préparer sa défense pénale en cas d'accident grave ?
L'accident vient de survenir. Les pompiers sont en train d'évacuer les blessés. Au-delà de l'émotion, pour l'employeur, le temps de l'enquête commence. Police judiciaire (qu'il s'agisse de la gendarmerie en zone rurale ou de la police nationale en ville) et inspection du travail sont rapidement sur place. Les deux vont mener une enquête, de façon assez séparée, la police judiciaire travaillant sous l'autorité du parquet, c'est-à-dire du procureur de la République. Comment l'employeur doit-il réagir face à cette situation, que va-t-il se passer ?
Une éventuelle défense pénale se prépare immédiatement après l'accident. L'employeur doit comprendre ce qu'il s'est passé, ce que cherchent les enquêteurs, qu'il s'agisse de la police judiciaire ou de l'inspection du travail, et se préparer à être auditionné.
1. Comprendre ce que cherchent les enquêteurs
Le code du travail prévoit bien de punir pénalement plusieurs infractions, mais dans la réalité, les manquements au code du travail sont rarement jugés par les juridictions de répression pénale. Deux types d'infractions font exception : le travail illégal, et ce qui relève de la santé-sécurité au travail. Surtout s'il y a eu un accident grave.
Les enquêteurs vont chercher un manquement, un manquement aux règles de sécurité, un manquement pénalement sanctionné. Entre les neuf grands principes généraux (article L. 4121-2 du code du travail) qui régissent l’organisation de la prévention – éviter, évaluer, combattre les risques à la source, adapter le travail à l'homme… jusqu'à la priorité qui doit être donnée aux mesures de protection collective, et à la formation et information des salariés) – et toutes les obligations particulières de sécurité, en fonction des risques et de l'activité, le champ est vaste. Il a notamment des règles à connaître en matière de co-activité.
L'accident résulte toujours d'une erreur combinée à une part de malchance. Pour parler vrai, il n'y a pas un accident qui survienne sans qu'il y ait eu un manquement à une règle de sécurité. On est toujours assez sidéré dans ces accidents de voir ce qui aurait pu être évité avec des 'si', mais à l'origine, il y a quand même bien un manquement.
2. Enquêter
Celui qui doit aussi mener l'enquête, c'est vous, employeur. Il va falloir assez rapidement savoir ce qu'il s'est passé. Et donc trouver le manquement. Ce qui va en outre permettre de prendre des mesures, aussitôt que possible, pour éviter que l'accident ne puisse se reproduire.
Parfois, c'est évident : il manquait un carter de protection. Parfois, c'est discutable, avec une faute qui semble imputable à quelqu'un d'autre.Qui est ce quelqu'un d'autre ? Très souvent, il s'agit d'un salarié, parfois le salarié victime, parfois un de ses collègues qui, par exemple, n'a pas respecté une consignation. L'erreur est humaine et peut survenir – il faudra par la suite comprendre comment l'erreur a pu survenir. Parfois, c'est la faute du sous-traitant : tout avait été bien établi avec lui, la visite préalable avait été faite dans les règles de l'art, mais le sous-traitant a fait quelque chose qu'il n'aurait pas dû, ou n'a pas bien prévenu ses salariés. Dans tous les cas, l'important est de comprendre, d'enquêter.
Alors, photographiez, photographiez au maximum, et en prenant des éléments de mesure. Si vous avez des éléments qui ont coagulé, bouché une canalisation, et provoqué l'accident, le premier réflexe, doit être de congeler cet élément. Faites venir un huissier, aussi, pour lui faire constater le plus de choses possibles, voire lui faire entendre les personnes présentes lors de l'accident.
Le travail de conservation des preuves commence immédiatement après l'accident, car le procès – si procès il y a – ne pourrait se dérouler que dans plusieurs années, et il sera alors trop tard pour retrouver les éléments de preuve, difficile d'obtenir des témoignages.
Surtout, vous gardez pour vous les conclusions que vous tirez de votre enquête. Vous ne les partagez pas avec tout le monde, et notamment avec votre sous-traitant, sous le coup de l'émotion.
3. Ne pas s'auto-incriminer
Évidemment, il est hors de question de mentir à l'inspecteur du travail – qui sera sans doute le plus actif dans l'enquête, police et gendarmerie étant moins au fait des règles de sécurité édictées par le code du travail –, sans quoi un délit d'obstacle serait constitué, passible de sanctions pénales (article L. 8114-1 du code du travail) .
L'inspection du travail peut prélever ce qu'elle veut, vous demander les documents qu'elle veut, interroger qui elle veut. Surtout, vous ne dictez pas aux salariés ce qu'ils doivent dire, il n'y a rien de pire !. Quant à vous, à ce stade des choses, il faut vous en tenir aux faits et rien qu'aux faits, n'extrapolez pas.
Vous indiquerez ainsi, par exemple, que le salarié victime de l'accident travaillait bien sous telle machine, que la pièce de la machine qui a lâché a été retrouvée à tel endroit, etc. Mais vous ne vous lancerez pas dans des "je pense que si ceci est arrivé, c'est que…." Vous répondez de façon neutre et objective sur les faits, vous ne supposez rien, et vous ne donnez les éléments que s'ils vous sont demandés. Il n'y a pas à s'auto-incriminer.
Que dire à la presse ?
On ne fait pas de déclaration à la presse. On se borne à dire qu'un accident grave est survenu dans telle usine, tel jour, que les secours sont intervenus, et qu'une enquête est engagée. Ça fait langue de bois, mais on ne dit rien. Vous éviterez aussi le discours des communicants 'on n'a rien à se reprocher...
4. Se préparer à faire passer sa ligne de défense lors de l'audition libre
Dans le cadre de l'enquête préliminaire qui est généralement ouverte après l'accident, menée par la police ou la gendarmerie, l'employeur va être convoqué, par écrit, pour ce que le code pénal nomme une "audition libre.
Cette audition, justifiée par le fait qu'il existe des raisons plausibles de soupçonner que [la personne convoquée] a commis ou tenté de commettre une infraction (article 61-1 du code de procédure pénale), arrive habituellement en fin d'enquête. "C'est la technique dite de l'entonnoir" : police ou gendarmerie auront entendu acteurs et témoins de l'accident dans les heures qui suivent, et n'arrivent aux personnes mises en cause que plusieurs jours ou semaines après, une fois qu'un maximum d'éléments recueillis leur auront permis de mieux comprendre la situation.
Premier réflexe lorsqu'on reçoit la convocation : essayer de repousser l'entretien de quelques jours. Le temps de préparer sa défense. Car tout ce qui sera mis dans le procès verbal va suivre l'entreprise jusqu'au bout. Cela figurera dans le dossier pénal.
Il est possible de garder le silence lors de l'audition libre, mais ce n'est pas conseillé. Tout en répondant très clairement aux questions posées, et toujours sans s'auto-incriminer, l'audition est l'occasion de faire passer les messages clé et votre ligne de défense pénale. Il s'agit d'indiquer comment vous, employeur, vous avez compris l'accident, soit durant l'échange, soit à la fin, lorsque l'agent demande si vous avez quelque chose à ajouter.
Qu'est-ce que la ligne de défense ? Cela se résume assez simplement. Il y a deux possibilités : je n'ai rien fait ou j'ai fait, je le regrette, et j'ai pris des mesures pour que cela ne se reproduise pas.
À la fin, on relit très attentivement la retranscription de l'échange. Le gendarme ou policier est là pour retranscrire ce que vous avez à dire, donc si une phrase est ambiguë, ou a été mal comprise, on fait refaire la phrase.
L'inspecteur du travail peut mener l'audition libre
L'inspecteur du travail peut mener l'audition libre, à la place du policier ou gendarme, de façon à faire profiter l'enquête de son expertise. C'est assez nouveau, prévu par l'article L. 8271-6-1 du code du travail, puisque cela ne fait qu'à peine 5 ans que cette possibilité a été ouverte, par la loi de réforme pénale du 3 juin 2016 (article 83 de la loi).
Rappelons que cette même année, avec l'ordonnance du 7 avril, ratifiée par la loi travail d'août 2016, les pouvoirs de l'inspection du travail ont été renforcés.
5. Comprendre les suites données à l'enquête
Une fois l'enquête terminée, le temps est venu pour les enquêteurs de décider des suites à y donner. Du côté de l'inspecteur du travail, c'est lui qui décide. Il peut décider de classer l'affaire. Mais s'il y a eu un accident grave, il y a de forte chances pour qu'il dresse un procès verbal, qu'il transmet au parquet. Autre possibilité, ouverte par l'ordonnance du 7 avril 2016 (ratifiée par la loi travail d'août 2016) : la transaction pénale.
Quant à la police judiciaire (police ou gendarmerie), lorsqu'elle a bouclé son enquête, elle transmet le tout au procureur de la République. Et c'est lui qui va décider des suites à donner. Il a trois possibilités : classer sans suite, ouvrir une information judiciaire ou renvoyer devant le tribunal correctionnel et ainsi faire citer à comparaître les personnes mises en causes par l'enquête.
Le parquet peut classer sans suite par exemple lorsque le manquement, rapporté par l'enquête ne peut pas être puni pénalement, ou lorsque les faits sont prescrits. L'ouverture d'une information judiciaire, c'est-à-dire qu'un juge d'instruction est saisi de l'affaire et va reprendre l'enquête, avec la possibilité de placer des personnes sous le statut de témoin assisté ou de les mettre en examen, est très rare en matière d'accident du travail.
Le plus probable, quand il y a eu un accident grave et qu'un manquement à la sécurité apparaît, est le renvoi devant le tribunal correctionnel. Un huissier vous portera alors une citation à comparaître, au moins un mois avant la date de l'audience. Vous aurez alors accès au dossier pénal, pourrez prendre connaissance des conclusions de l'enquête de police/gendarmerie et de l'inspection du travail, retrouverez le procès verbal de votre audition, etc.
En conclusion, c'est là, que vous allez ressortir toutes vos planches photographiques, vos témoignages, vos pièces congelées… de façon à préparer votre défense, en cohérence avec la ligne donnée lors de l'audition libre. Une autre phase, celle du procès, s'annonce.